Vous vous souvenez sans doute que le Nos Limites était en train de s’élancer dans le Golfe de Gascogne au départ de la Corogne au dernier épisode. Vous, lecteur(trice), l’imaginez fendant les flots avec grâce et légèreté et vous aurez raison, en un sens. Les 10 tonnes fuselées de la bête pèsent lourdement sur la vague; et la grâce ne luit que dans l’oeil du capitaine mais passons la poésie !
La Corogne, après le cap Finisterre…est encore une bête noire de navigateur mais pas pour les mêmes raisons. On dit que le vent a trois sens possibles ici : North side, South side and Wrong side. En réalité, les brises thermiques se mêlent avec volupté au vent dominant si bien qu’une houle magnifique et totalement chaotique se crée dans la zone sur 20 miles nautiques, dit-on ! Le courageux équipage (il faut bien se valoriser bon sang…) se dit que, 20 miles, ce n’est vraiment rien du tout. En plus cette fois, il a pris le train bien en avance sur le vent ,et cette fois nous l’avons attrapé. Le vent qui devait être de travers est même un joli portant au début sur les 80 miles suivants (sur 320…) grâce aux schémas erratiques de la zone, c’est une bénédiction.
MAIS (encore un MAIS), le travers attendu se transforme avec vice et malfaisance (malgré notre coquille saint jacques protectrice, cf épisode 4), en un bord de près qui va durer 3 jours, AVEC une houle de 2m5O de travers, qui va mettre à rude épreuve l’oreille interne de l’équipage. C’est simple à décrire : le Golfe de Gascogne est la Méditerranée de l’Atlantique, affreux, pas dangereux, mais waouh…3 jours ! Bref.
Comprendre le Golfe de Gascogne
Pourquoi la houle se lève-t-elle si brusquement ? En réalité, le plateau continental s’étend très au large dans le golfe. On peut passer d’une profondeur de 4000m à 100 mètres en quelques miles seulement. Ce faisant, la mer remonte brutalement et forme une houle conséquente. Pour info c’est la même dénivelé près du cap Horn, le vent en moins ! Pour éviter cette houle inconfortable, l’idéal est évidemment de ne pas longer ce plateau, et la mer se tiendra tranquille; ça c’est la théorie et forcément la réalité n’est pas à la hauteur de nos espérances :). De plus, il est largement exposé à l’ouest et donc aux houles océaniques et aux éventuelles dépressions qui arrivent et balayent la zone, même si en été, les anticyclones et donc le beau temps prédominent. Ensuite les zones de remontée brusque accueillent le plancton : les poissons suivent le plancton et…les orques suivent les thons. Voilà pourquoi on rencontre des orques dans le Golfe, en particulier au large de Biarritz.

Nous avons remarqué également que la mer était franchement désagréable, mais seulement quelques heures, de manière très cyclique, avant de redevenir cool, puis de nouveau chaotique. Ainsi, il est possible que les courants de marée lorsqu ‘ils sont opposés au vent, lèvent également la mer. En tout cas, sur trois jours et un seul bord, cela s’est vérifié. Le capitaine me chuchote qu’en effet, imaginer que cela ne dure « que » quelques heures permet de garder le moral pendant toute la traversée et il a raison !
Notre long bord devait nous déposer près de Bénodet, la dérive aidant, nous posons la pioche à Belle-Ile; disons que nous avons vu pire en lieu d’atterrissage : sable fin, longues plages au calme, petit village charmant (le Palais), peu d’affluence malgré la beauté du lieu. Un gonflage en règle de l’annexe et quelques coups de pagaie plus tard, la marée basse et le sable nous promettent une longue marche pour mettre le dinghy à l’abri. A noter qu’il y a un point auquel nous n’avions pas pensé, c’est la distance à parcourir à pied avec l’annexe sur les plages de l’Atlantique.
Fabrice : C’est vraiment un truc de fainéant les petites roues sur l’annexe, tout ça pour ne pas porter…
Céline : C’est clair, encombrant, cher et pas franchement utile, un vrai gadget.

Maintenant nous savons 🙂 : Nous avions oublié les marées ! Marcher 100 mètres avec une annexe de 30kg à bout de bras (dont un de nous deux à reculons pour porter le boudin avant) plus le poids du moteur…on ne le fera qu’une fois. Les petites roues seront montées très vite, même si des gens de Méditerranée nous jugent, tant pis !
Belle-île
Une des habitantes rencontrée dans un café littéraire (une sorte de paradis sur terre où on peut lire et/ou acheter des bouquins, tout en dégustant une infusion du jardin) nous explique que Belle-Ile est très fréquentée, et que c’était plus tranquille lors de son installation 20 ans plus tôt. Nous avons dû rencontrer 20 personnes sur le trajet de la plage à la ville, disons que, question affluence, le ressenti est relatif :).
On nous met en garde sur le « monde fou » que nous allons avoir sur la côte. Là également, nous allons bien rire. Départ de Belle Ile en raison d’une houle chaotique qui tourne dans le sens de l’île en fonction de la marée.






Nous sommes à la recherche d’un abri pour changer notre poulie de trinquette cassée en tête de mât (pas envie de vomir sur le capitaine à cause de la houle). Notre choix se porte à quelques miles de la baie de Lorient, dans un calme absolu. La baie est immense; nous sommes seuls au mouillage, tellement seuls pendant 3 jours que nous finissons par nous demander si nous avons le droit d’être ici (il semble que oui).

Qu’est-ce qui pourrait bien se passer au stade de l’histoire ?
La cadre, ainsi que la météo sont idylliques, l’équipière vient de changer la poulie. Certes tout n’est pas encore parfait mais cela s’en rapproche. Après trois jours de repos, direction Groix. Nous avons décidé de mouiller sur la seule plage convexe d’Europe ! Incroyable. Au démarrage du moteur, au petit matin, une délicate odeur de gazole nous arrive au nez. Ouverture de la cale moteur, inspection, nous remarquons quelques gouttes de gazole fuyant du tuyau de l’injecteur numéro 3. Hop, un coup de clé pour resserrer. Imaginez à cet instant le ruisseau qui se transforme en torrent de gazole…
Comme disait notre ami Montaigne, qu’on imagine aisément à cet instant poser la main sur notre épaule : « Le mieux est le MORTEL ennemi du bien », et bam ! Merci Montaigne ! On se serait bien passés de ton avis.
Le Perkins tourne comme si de rien n’était.

Malgré cela, la prudence et surtout l’absence d’envie de transformer le Sharki en crêpe flambée nous contrait à couper le moteur initialement puis voguer vers le port le plus proche. Nous avons jeté notre dévolu sur le charmant port de Port-Louis, juste à côté de Lorient, chargé d’histoire. Un gros chiffon plaqué contre l’injecteur, que nous changeons trois fois en 30 minutes et le bateau est à quai en sécurité ! Ouf ! Le temps d’attendre les pièces, nous décidons de profiter du lieu et nous n’allons pas être déçus.
La Bretagne c’est humide ?
J’avoue avoir appréhendé l’arrivée en Bretagne, Fabrice me l’ayant décrite comme parfois difficile au niveau de la météo.
Fabrice lors de la traversée : Tu vas voir, il pleut sans arrêt. Rien ne sèche; j’y suis allé un été et c’était terrible. Pluie, vent, froid, bref, la Corogne va nous manquer.
La réalité ? Nous avons eu 10 jours d’affilée de ciel bleu éclatant, mer d’huile, avec des thermiques fraiches et une mer à 22 degrés. Tout sèche ! Sauf nos injecteurs ! 🙂
Port-Louis
Port Louis, c’est l’occasion de découvrir l’histoire de la Ville de Lorient et ses alentours.

Lorient comme « L’orient » car les premiers bateaux marchands de la compagnie des Indes ont été construits ici. La ville est donc ancienne (XVI/XVIIème), contrairement au centre ville qui a été détruit à 90% en 1945 ! La citadelle (Vauban mais en fait pas Vauban, puisqu’il l’a juste améliorée) est magnifique et son histoire également.

Pour résumer : les catholiques français de l’époque détestaient les protestants, alors ils ont fait venir 10 000 soldats espagnols (donc catholiques) pour maltraiter les populations locales à majorité protestante. Résumé grossier certes mais tout cela a été stoppé par Henri IV et son fameux édit de Nantes. Chose sympa : la citadelle a été construite par le même architecte espagnol que la citadelle de Cadiz que nous avions également visitée. Le monde est petit. Elle abrite également une superbe collection de navires de sauvetage dont un vrai de vrai du XIXème siècle, insubmersible, ainsi qu’une collection de porcelaines de Chine, de laques, et de soieries exceptionnelles. Certains touristes présents auront la finesse de se plaindre de la pauvreté de la collection comparée à celle de Paris :).


Quel planning pour le Nos Limites ?
A l’heure où ces lignes sont écrites, quelques jours seulement nous séparent du Finistère. Nous avons fait plein de choses, et la plupart n’étaient évidemment pas prévues. Loin de nous l’idée de se plaindre car sur un bateau on ne s’ennuie jamais !
La roue de mon vélo s’est déchirée, hop changée ! Changement des tuyaux d’ injecteurs (tous car ceinture et bretelles), modification du système de poulie de trinquette, fuite d’eau surprise par la casquette du cockpit donc démontage de tous les plexis et re-étanchéification par le capitaine Fabrice (ok ça, c’était pas prévu et c’est grâce à la pluie pendant 3 jours, qui évidemment n’arrive jamais en Méd, que nous l’avons découverte). Effectivement, après les 10 jours de soleil, la pluie est arrivée et …rien ne séchait ! Information véridique donc.
Lorient
Comment finir sans quelques mots sur la ville soeur de Port-Louis ? Voici comment elle est décrite par le capitaine avant notre arrivée :
Fabrice : Lorient, c’est moche, tout a été détruit donc il n’y a pas de centre historique. Le cadre est moyen. Voilà.
Une virée en vélo sur les rives du Ter plus tard, notre avis a changé. De même après la visite de Larmor Plage, du petit port de Kernevel.

Certes, nous sommes loin de la vieille pierre. Cependant, quelques minutes nous séparent de la ville bétonnée à la forêt. Exceptionnel. Parlant de béton, la visite du K3, l’ancienne base sous marine des Allemands, a été fort instructive. Ils ont fini par admettre ne pas l’avoir détruite après la guerre en raison de l’immense quantité de béton à éliminer ! Chantier titanesque.





Malgré tout, il est temps de partir. Autrement nous courons le risque que les vendeurs des shipchandlers finissent par nous appeler par nos prénoms tant nous les avons fait travailler ces derniers jours :).

Répondre à kavekachris Annuler la réponse.