Saison 2, épisode 3 : de Lisbonne à Vigo

La remontée de la côte portugaise peut sembler monotone si l’on se fie grossièrement aux cartes géographiques standard ; une côte rectiligne, sans relief, sans mouillages abrités. Rien qui ne donne envie de s’attarder en somme. Et pourtant, cette navigation tout en cabotage va nous surprendre et parfois nous enchanter.

Le départ depuis Lisbonne nous a fait passer une nuit très sage près de Cascaïs, le Saint Tropez du Portugal : ports hors de prix (gasoil également !), cadre sympa mais très bling-bling, agrémenté d’un immense néon Auchan bien en face du mouillage qui clignote la nuit, le rendant encore plus visible que le balisage du port, merveilleux ! Nous découvrons pendant cette mini navigation que notre nouveau jeu de voiles nous permet maintenant une navigation au près dans des conditions acceptables et confortables (pour un Amel), la mer se levant très peu dans ce Golfe.

Une nuit de repos, puis le Nos Limites commence la remontée du Portugal dans un brouillard épais impressionnant. Nous sommes si près de l’Algarve et le climat n’est déjà plus le même : une purée de pois ambiance le paysage, les oiseaux silencieux planent au dessus du bateau qui avance doucement dans le calme. Merci le radar et merci l’AIS de nous permettre de voir à travers ce mur ! De légers remous de surface attirent notre attention : des centaines de petits crabes nagent en surface, sur des miles et des miles, l’envie d’en choper quelques uns à l’ épuisette pour pêcher ensuite effleure l’idée de Céline mais l’âme bienveillante de Fabrice aura pitié de ces braves créatures.

15 degrés le matin, brouillard, bruine, ça prépare !

Nous décidons de remonter jusqu’à Nazaré, la ville avec la fameuse plus grande vague du monde…sur la carte marine ils appellent cela un « breaker ». Et le conseil suivant : contourner largement la côte en entrant au port, sera scrupuleusement suivie par le capitaine. Nul doute que le petit ketch n’est pas taillé pour ce genre de prouesses, aussi solide fût-il ! Ni l’équipage d’ailleurs…

Quelle belle surprise que ce port de Nazaré : un calme absolu à l’abri de toute houle, un accueil génial par la capitainerie, des employés qui parlent un français parfait tout en s’excusant de ne pas maîtriser notre langue ! La ville quoique touristique, est loin du faste de l’Algarve et ressemble enfin à une vraie ville, avec de vrais habitants et pas uniquement une population de touristes.

Nazaré, la brume de fin de journée, la jolie vague symbolique de la ville au sol

Nous y séjournons 2 nuits avant de poursuivre notre route direction Aveiro. Nous ferons connaissance avec des navigateurs de passage, lesquels descendent vers le Sud, la peur au ventre au sujet des orques, nous bombardant de questions. A cet instant, nous nous sentons dans la peau de rescapés d’un terrible évènement, porteurs d’une certains expérience, alors même que nous avons probablement eu de la chance et peut-être un peu d’intuition.

Cent miles plus loin, à la voile à cent pour cent cette fois-ci, nous découvrons Aveiro. Cette ville, Aveiro, est peu connue, enfoncée dans la côte Portugaise, et s’avère un joli petit mouillage dans le fleuve qui nous mène jusqu’au village de Sao Jacinto, très peu peuplé, charmant, protégé. On y trouve même un bazar chinois, voilà qui nous rappelle la Guyane :).

Nous laissons l’ancre cinq jours dans un calme absolu, dans 4 mètres d’eau. Ici, pour avoir le droit de rentrer sur le fleuve, il faut demander au port Control, qui nous autorise à passer entre deux méga cargos. Ce n’est pas un petit cours d’eau ! Le courant y est assez fort, nous entrons en marée montante et 2 nœuds de courant nous poussent droit au mouillage ; loin des 5 nœuds de face si nous entrons à la mauvaise heure ! Nous voilà prévenus.

Sao Jacinto, le magnifique deux mâts au fond c’est nous !

Arrivés à terre, nous nous retrouvons au coeur du Portugal, absolument dénué de touristes de masse, les locaux y viennent le week end pour profiter du parc naturel bourré d’oiseaux marins. Les sternes y sont reines et chacune a sa bouée de pêcheur réservée, gare à celui qui osera la faire déménager ! Personne ne parle anglais ici, nous baragouinons de l’espagnol, qui y semble parlé par tous et nous voilà déjà prêts à repartir. A noter : dans toutes les supérettes, il existe un rayon « maison » avec serpillères, balais, etc. Or, au Portugal, il est très fréquent de trouver des truelles de maçon dans ce même rayon ; difficile alors de ne pas sourire en pensant très très fort (mais alors très fort) aux clichés sur les Portugais. Dans un tout autre registre, nous avons également découvert le Vino Verde, un vin blanc pétillant très frais local, peu alcoolisé et délicieux dont nous faisons moult provisions avant notre appareillage.

Le moment que nous considérons comme le plus « technique » fut la sortie du fleuve. A propos, cher(e) ami(e) lecteur(trice), sais-tu ce qu’est une barre ?

– 1 : cela peut être un banc de sable ou de cailloux qui bloque une zone de navigation.

– 2 : c’est une sorte de grosse vague, bien bien creuse, qui se forme lorsque le vent est opposé à un courant, la mer de lève d’un coup et cela peut carrément empêcher toute sortie d’un fleuve ou d’un raz par exemple.

Il s’avère que le courant dans le fleuve est à environ 4 nœuds descendant ce jour là, parfait pour nous catapulter à 10 nœuds à la sortie, droit vers l’océan. Et à 6 heures du matin, heure de la renverse de marée, le vent souffle à seulement 5 nœuds, autant dire rien du tout. Nous allons pourtant nous prendre en pleine face une belle barre, heureusement inférieure à 2 mètres, mais le navire va cogner sévèrement contre la houle formée pendant 30 bonnes secondes avant de rejoindre la surface absolument lisse de l’océan, seulement quelques miles après. Merci au capitaine qui a eu la jugeotte de fixer l’ancre avant notre sortie ! Le capitaine avait porté le moteur à 3000tr/ min pour franchir ce « muret » pourtant impressionnant. Quatre heures après, le vent soufflait 20 nœuds, autant dire que nous aurions fait rapidement demi-tour.

Nous avions appris que ce phénomène existe pour tous les ports sur les fleuves du Portugal, et que la marine peut fermer certains ports si elle juge le passage dangereux. Pour illustrer la dangerosité de la chose, 4 personnes et 2 pêcheurs sont décédés l’année dernière en tentant de franchir une barre…Les 4 plaisanciers inconscients sortis malgré l’interdiction, et les 2 pêcheurs en tentant d’aller les aider, une fois leur bateau fracassé contre la côté…Aujourd’hui vous écoperez de 3000 euros d’amende en cas de passage forcé !

Mais, ces navigations fluviales, si elles promettent des nuits sur un lac, sont pour nous très contraignantes et dépendre sans arrêt des marées, des fermetures inopinées, des courants contraires etc…nous donnent envie de filer d’une traite en Galice, la Nord Ouest de l’Espagne et ses rias fabuleuses.

La Galice, découverte.

D’une traite (et 24 heures plus tard), le petit Sharki touche le mouillage de sable de Baiona, à quelques encablures de Vigo, la première ria de Galice. Ici, plus de monotonie, la côte est rocheuse, déchirée par les vagues, le ciel est brumeux le matin, éclatant l’après midi, des plages de sable blanc éclatant déchirent des forêts de pins à même le littoral.

Le chemin de ronde du château

A Baiona, nous aurons le plaisir de visiter le château local, ainsi que la réplique de la Pinta de Christophe Colomb.

Récupération de l’annexe attachée aux escaliers après 3h de marée montante…on va devoir se mouiller les pieds pour défaire le noeud ! Erreur de méditerranéens !

Baiona a été la première ville où l’expédition de 1492 est revenue après avoir découvert l’Amérique.

Ciel fabuleux révélant le château de Baiona, quel chic !

On peut dire que la vie à bord devait être rustique et minimaliste ! Et il est clair que nous n’avons plus à nous plaindre du Sharki qui remonte péniblement au près après avoir vu ce monstre. 30 hommes à bord dont un calfateur, un chirurgien et un boulanger…voilà de quoi à besoin un équipage ! Rires.

La Pinta, la quintessence du minimalisme : pas de plancha à gaz, ni de winch, ni de taud de soleil ! Les pauvres 🙂
La cambuse semble de bonne taille !
Les gars embarquaient des perroquets, des armes, et ramenaient des indiens parfois, il y a de la place pour tous ici !

Nous étions timides, arrivés en pleine nuit au mouillage de Baiona, n’osant pénétrer plus profondément la ria. Dès que le vent a soufflé, nous sommes repartis vers Moana puis Vigo. Les deux villes se font face, opposées l’une de l’autre, reliées par un ferry bus pour seulement quelques euros. Moana est un charmant village, qui dispose de jolies allées fleuries, d’un petit quincaillier et d’une cantina où l’on peut manger une immense salade accompagnée en second plat d’un osso bucco de dinde et d’une bonne boisson pour 12 euros, impensable en France où c’est parfois le prix d’un dessert:).

le port de Moana, charmant, vu du ferry

Vigo, elle, est grande, immense même, pour nous , petits plaisanciers. Elle a tout d’une grande ville, mais a su garder son charme, de grands parcs aux arbres centenaires, et un glacier fabuleux (point extrêmement important). La douceur de vivre y règne même davantage qu’en Andalousie, le climat étant encore plus agréable et moins chaud.

Ambiance orientale dans les jardins de Vigo

Nous avons profité de cette courte escale au port pour prendre le train entre Vigo et Saint Jacques de Compostelle. Nous pourrons dire que le pèlerinage de Nice à Saint Jacques aura été fait à la voile et sa conclusion en train et à pied !

Le train en Espagne

Stupeur, surprise, extase (peut-être le narrateur exagère-t-il un poil). Tels sont les mots décrivant notre voyage en train. Pour 5 euros…l’équipage se retrouve dans l’équivalent du TGV espagnol, flambant neuf, dans la gare impeccable de Vigo. Ici, les contrôles ressemblent à ceux des aéroports mais en très efficaces. Nous voilà assis en face de petits écrans nous indiquant les paramètres de voyage et la vitesse (200KM/h tout de même). Départ 10h44 (le train se met en marche à exactement 10h45). Le voyageur français habitué à cette p***** de SNCF (que nommer est déjà trop d’honneur) reste coi. Pas une seconde de retard, un calme absolu, des WC qui marchent. De la science fiction. Voilà un voyage qui va passer très vite, quel plaisir ! Le retour en train équivalent moyenne distance (Corail en France) sera tout aussi bien. Cela nous réconcilie enfin avec le train.

Saint Jacques de Compostelle (Santiago de Compostelle)

Que dire ? Cette ville est l’aboutissement de dizaines de chemins de pèlerins, mais n’est pas la fin du chemin (celui-ci pousse jusqu’au cap Finisterre, Muxia et d’autres villes côtières que nous découvrirons plus tard). Fabrice s’attendait (et moi également) à un charmant village aux rues pavées, très simple, sans fioritures. La gare est immense, et nous comprenons très vite dans quel endroit nous avons atterri. Comme chaque ville ultra fréquentée, ici, c’est le Disneyland du pèlerinage : vente de coquilles « collector » à accrocher estampillées made in China (comment peut-t-on fabriquer en Chine des coquilles ? Le logo est peut être peint dessus là-bas…je ne sais pas ! Tant de questions…rires). Business is business.

Magnifique cathédrale, la photographe talentueuse a fait une vue en contre plongée pour donner une impression de gigantisme !

La cathédrale est fabuleuse, immense, spectaculaire, la cathédrale originelle ayant été totalement rasée avant l’an 900, elle a été totalement reconstruite vers le XIII ème, et la façade phénoménale date du XVIIIème siècle. Là encore nous nous attendions à une petite cathédrale très ancienne, presque primitive, avant de nous sentir tous petits devant tant de magnificence. Les pèlerins de tous pays se pressent, la messe des pèlerins a lieu à midi ! Nous en profitons pour aller prendre un rafraîchissement, la chaleur écrasante (sans vent) nous avait fait griller sur le parvis.

Des réductions spéciales « pèlerins » fleurissent dans chaque échoppe et restaurant (-10 % par ci, une bière offerte par là) ; comment prouver que nous sommes pèlerins dans ce cas ? Le bâton, la fameuse coquille ? Un certificat ? Rires. Le chemin étant avant tout fait dans un but de conviction personnelle et de courage, il est un peu triste que le business tourne presque en ridicule cet acte de foi même si la majorité semble s’en accommoder.

De retour à Vigo, nous nous préparons à la remontée finale vers le Golfe de Gascogne et la Bretagne ou l’Irlande (depends on the wind!).

Fabrice admire ses nouveaux panneaux solaires comme Victor Hugo admirait la beauté de la mer déchainée devant Guernesey…

L’installation de nouveaux panneaux solaires (encore du bricolage sous 30 degrés!), va nous être d’une grande aide pour la suite du voyage.

Sable fin qui brille comme du diamant, eau limpide, forêts de pins sur la plage, personne, paradis sur terre. Porquerolles en mieux !

4 réponses à « Saison 2, épisode 3 : de Lisbonne à Vigo »

  1. Lu cet épisode 3 avec grand plaisir

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  2. bonjour les navigateurs,

    toujours un plaisir de vous suivre avec vos découvertes au gré du temps et du vent. Pas banal d’avoir réalisé le chemin jusqu’a Compostelle en bateau ..bravo à tous les deux .

    bon vent et bonne mer pour vos découvertes futures.

    nicole

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    1. Bonjour à vous. Merci beaucoup ! Nous avons même oublié le passage par Rome. 🙂

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      1. Merci beaucoup ! C’est toujours un plaisir de suivre vos péripéties !

        Gros bisous

        Ghislaine et Manfred

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