From Gruissan to Gibraltar : épisode 4, le rocher.

Départ du port de Cartagena par une météo tout à fait favorable.

La navigation progresse d’abord brillamment toutes voiles dehors, en bon travers avec 20 nœuds de vent et ce, pendant environ 30 minutes. Nous aurons même le temps de téléphoner à la famille pour raconter nos péripéties Cartagénoises. Quelques minutes plus tard, un bruit atypique -sorte de flap- se fait entendre et, à ce moment là …surprise, notre point d’amure de génois, c’est à dire la manille de l’enrouleur, à tout simplement décidé de nous abandonner et de rejoindre les profondeurs. Si vous avez besoin de piment dans la vie, vivez sur un Sharki !

Sauf que nous sommes précisément toutes voiles dehors, en travers et que la mer commence à être bien formée avec des creux de 1m50 / 1m80.

Nous réfléchissons à la vitesse de l’éclair : dans cette situation, enrouler semble compliqué, le génois commence à sortir de son rail. Fabrice, en bon capitaine, se place immédiatement face au vent.

Je m’arme de ma plus longue réserve de Dyneema de 3 mm et fonce à l’avant avec tout l’attirail de la parfaite matelote (pince plate, couteau, briquet tempête, fil de fer, et un peu de bonne volonté). Nota bene : le briquet tempête est plutôt un briquet de « brise » puisque 20 nœuds ont eu raison de lui; bien s’en rappeler pour la prochaine fois. 🙂

Fabrice et moi sommes tous les deux attachés à l’avant avec nos harnais, la dyneema passée le plus rapidement et efficacement possible dans le point d’amure pour retenir la voile dans le rail. Pendant ce temps je bricole une aiguille avec le fil de fer qui me permet de passer la dyneema avec des bonds de presque deux mètres dans la mer et de réaliser un brêlage d’urgence acrobatique. Vive le travail d’équipe !

Normalement c’est comme ça, la manille de la trinquette semble toujours tenir !
Brelage de professionnel, on passe de 100kg de résistance à 5000 (trois petits tours et puis s’en vont)

Deniau disait : en mer, on paye cash la moindre négligence.

Or, nous avions eu deux alertes : un premier dévissage spontané de cette fichue manille l’année dernière à Fornells (avec resserrage et frein filet), et un second, encore plus spontané à Gruissan (nouveau resserrage et nouveau frein filet). Après ces deux avertissements insidieux, ce qui devait se produire arriva !

Nous avons remplacé quasiment toutes les manilles du bord par du brelage (ou lashing), c’est à dire par des tours de dyneema bloqués par demi clés. Les avantages sont indéniables: pas de poids, peu de ragage, résistance aux UV, remplaçable au moindre souci, 5 fois plus résistant que l’acier à diamètre égal et facile à mettre en place même dans les vagues ! Pour information, nous n’avons aucune action dans l’entreprise mais nous contribuons chaque jour à les enrichir.

Le plus drôle dans cette histoire : j’avais acheté 3 mètres de dyneema juste avant de partir de Cartagena pour faire le lashing de cette susdite manille en arrivant à Gibraltar (instinct surpuissant de marin!).

Après une première nuit calme et une seconde nuit agitée avec un bon gros vent de face et dix heures au près avec 20 nœuds dans la tronche et la trinquette, le Nos Limites franchit l’avant port de la marina d’Alcaidesa, petit port de plaisance situé à seulement 15 minutes à pied de la frontière.

Quelques bateaux ou l’art de pratiquer l’esquive avec des tankers de 50 000 tonnes ! Notez la vitesse : 7,8 noeuds (et oui ! nous avons un courant portant !)
Happy d’arriver enfin après 48 heures de nav’

Comment passer à Gibou sans s’arrêter près du rocher et le visiter ? Dans l’attente de la météo parfaite, le Nos Limites se pavane sur les quais où nous sommes choyés et profitons d’une vue imprenable sur le rocher. A 25 euros la nuit, on ne va pas se priver !

La vue du cockpit directement sur le rocher.

L’équipage a eu la joie immense d’être accueilli dans la baie de Gibraltar par une bonne vingtaine de dauphins, et, grosse frayeur, ce que nous avons pris pour un orque mais qui n’était probablement qu’un globicéphale noir, sorte de baleine flegmatique (mais qui fait peur quand même) qui s’approche -dit-on- facilement des bateaux mais sans contact ! Pas de photos ici, la peur nous a fait foncer illico vers le port.

Le passage de la frontière Espagne Gibraltar est-il simple ?

Pas d’ETA, pas de visa, gratuit. Les douaniers lèvent à peine l’oeil quand on brandit nos passeports rouges. Aucune vérification du nom, ou de quoi que ce soit, dans la mesure où nous leur présentons à une distance de plus d’un mètre. Facile ! Aucune formalité autre qu’un bonjour et un grand sourire. En tant que piéton c’était très agréable. Le plus improbable c’est la traversée de la piste de l’aéroport, qui reste très impressionnante. En réalité, nous avons compté 3 décollages par jour, le hors saison n’est pas dangereux pour nous pauvres piétons.

Petite traversée de la piste (on note les militaires qui reviennent d’un shopping pas cher en Espagne)

La visite se poursuit par l’ascension du rocher (à priori 400 mètres de haut, ressenti 2000 sous 30 degrés au soleil) et sa réserve naturelle. Nous avons choisi de le faire à pied et de ne pas emprunter le téléphérique pour mieux nous imprégner du moment. (Bon soyons honnêtes tout de même : c’était 30 euros plus cher, l’équipage préférait économiser pour se payer quelques bières et des friandises!).

L’Afrique juste en face, le Maroc semble tout proche.

Les pieds lovés dans nos plus belles chaussures de randonnée et le sac (pour une fois) léger, nous serpentons dans la réserve à la recherche des fameux singes de Gibraltar. On les décrit comme agressifs et voleurs et…ils sont au contraire très calmes mais savent chiper les cacahuètes dans les poches ! Fabrice en fera les frais, avec un bon fou rire en se faisant dépouiller de nos snacks.

Concernant la visite du rocher, nous la décririons comme une sorte de Disneyland pour adultes à l’anglaise: des attractions, un bracelet avec un QR code pour entrer dans chaque zone et la « promesse » de voir l’ensemble dans la même journée ! Cela sera effectivement possible dans la mesure où le rocher ne fait que 2 miles de long, quadrillé en 6 bonnes heures, tunnels compris:)

tunnels du XVIII

Le rocher est un véritable gruyère, avec environ 50km de tunnels dont certains datent du XVIIIème siècle ! Ce sont de petits havres de fraîcheur parcourus avec plaisir et curiosité.

La grotte de st Michael est une pépite naturelle nichée plus au sud du rocher, abritant des colonnes de stalactites, que l’homme a transformé en un chapiteau de lumières et de sons ; une dentelle de roche millénaire splendide, presque altérée par la main de l’homme à notre avis.

Et il faut bien profiter du voyage à l’anglaise en se payant une bonne bière avec un fish and chips de 500g, après nos 25000 pas du jour dans la St Michaels cabin, sorte de pub d’altitude à la vue imprenable.

La bière anglaise qui ne se refuse pas 🙂

Tout ici rappelle l’Angleterre, le climat mis à part. On y trouve des cabines téléphoniques rouges, des petites rues pavées, des maisons blanches décorées de petites fleurs par centaines, le flegme local des Gibraltariens (oui, on dit comme ça, on a connu plus sexy mais c’est toujours plus facile à prononcer qu’un Réginaburgien!). On peut aussi y croiser au hasard d’une terrasse le regard placide d’un Anglosaxon sirotant une bière à 10 heures du matin pour son breakfast 🙂 .

L’équipage, toujours curieux et contemplatif, a décidé de visiter la marina de Gibraltar, la vraie de vraie et, l’impression a été mitigée. Gibou fait partie de ces endroits (comme Palma, Saint Tropez, Monaco…) où tout semble faux. Les buildings bleu électrique percent le ciel, s’encadrent de balcons fluos; même les gens sont « trop » parfaits, eux aussi uniformisés par le cadre. Pas la moindre trace de pauvreté dans ce décor, alors que les rues alentours montrent clairement un niveau de vie différent. Tout doit être raccord et, à ce titre, chacun devient l’attraction du suivant.

Mini Manhattan tout propre
En français « gastrobar », ça ne donne pas envie (ils proposent des moules de nouvelle Zélande, limite pour la fraîcheur, si tu vois ce que je veux dire)

Fabrice me glisse à l’oreille : ce n’est pas ici qu’on va s’installer sur le quai pour couper de l’inox, les étincelles vont leur piquer les yeux ! Au fond d’un quai, nous nous trouvons face à un monstre : un immense bateau de croisière fait office de Casino et Hotel de Luxe 5 étoiles, ancré pour toujours dans ce port. C’est donc sans regrêt que nous resterons dans notre petite marina espagnole, tranquille, propre et en accord avec notre mode de vie.

La sortie de Gibraltar ? Encore plus comique que l’entrée, le passeport est présenté une nouvelle fois brandi à la vue des aduanas (douaniers espagnols) sans aucun contrôle des sacs (qui auraient pu être remplis de bouteilles de vodka à 5 euros pièce le litre, ou autres denrées aux prix sévèrement élevés en UE). Puis, la frontière espagnole s’ouvre devant nous. Nous sommes loin des contrôles aux frontières de la Guyane avec fouille des bagages, chiens renifleurs, scanners corporels et enregistrement du passeport à l’entrée !

Le grand départ pour l’océan Atlantique (le graal pour tout méditeranéen (ne)) est prévu samedi prochain. Entre temps, la visite de la ville se poursuit, le bricolage, les brelages, visite mensuelle en tête de mât (qui permettra de voir que la trinquette ne tenait plus qu’à un fil), vidanges en tout genre puis un mythique réamorçage du circuit de Gazole après changement de son filtre (bien bien chiant sur les Perkins).

Aujourd’hui on surveille les deux mâts avant le grand passage 🙂

Suite au prochain épisode.

3 réponses à « From Gruissan to Gibraltar : épisode 4, le rocher. »

  1. Tout est donc prêt pour le prochain épisode que l’on attend avec impatience.

    Christian

    J’aime

  2. Avatar de peacefully628f898e0c
    peacefully628f898e0c

    Tu sais Christian, à leur place je ferais une liste de TOUT ce qui peut…comment écrire …..merder? avant la plongée ds le grd océan, mais ils sont jeunes donc très optimistes et ils ont raison; moi je suis de plus en plus vieille surtout depuis qq jours et comme tu le sais, le bateau n’a jamais été mon univers sauf avec les 2 excellents capitaines que vous êtes toi et Didier et auxquels je confiais ma vie sans aucune retenue !!!! Grosses bises à tous les 4 car je n’oublie pas Violette.

    J’aime

    1. Avatar de docteurceline
      docteurceline

      Oui, vous avez raison. Il nous reste un peu d’optimisme dans les cales, bien protégées. Nous allons en avoir besoin !

      J’aime

Laisser un commentaire