From Douarnenez to Dublin : Saison 3, épisode 1, à travers la Manche

Le refleks

C’est fait ! Le poêle à gasoil est fonctionnel, avec son réservoir flambant neuf, installé par des professionnels (ou en tout cas COMME des professionnels). Nous sommes fins prêts pour la Trans-manche. L’équipage décide de tester le matériel par une belle journée d’été en Finistère; à vrai dire pendant la seule journée de vraie canicule. Il fait donc 34 degrés (Celsius, oui tout à fait !) dehors et 25 degrés dans le carré. Voyons si c’est facile… Il s’allume très vite, envoi du gasoil dans le circuit et bim ! Flamme soufflée. Nous sommes interloqués mais bien décidés à comprendre. Et là, en suivant les instructions : mettre de l’alcool à bruler au fond (1 cuillère à soupe), puis enflammer l’alcool une minute puis ouvrir le robinet de gasoil. Déjà, va mettre une cuillère à soupe dans un orifice de 1cm sans en mettre partout, et cela 40 cm au dessus de la flamme…Ensuite, et bien, ça ne brûle jamais une minute, mais cela s’éteint en 15 secondes… Avec du gasoil plein les pattes, nous découvrons que la plupart des « heureux » propriétaires du poêle ont installé un mini ventilateur en dessous pour l’amorcer…Et là il nous vient une idée :

-Il fait 25 degrés ! Peut être que le thermostat coupe l’arrivée de gasoil parce qu’il considère que la chaleur est suffisante !

– Oui ! On va mettre un petit sac rempli de glaçons à côté pour lui faire croire qu’il fait 4 degrés, excellent !

Pour faire court, évidemment ça ne fonctionne pas; le thermostat est beaucoup plus malin, ou l’équipage beaucoup plus bête :).

Finalement, après moult essais, la bête a démarré, à l’aide de ce fameux ventilateur et la chaleur s’est bien égalisée à 34 degrés dedans ET dehors, tout cela sous le regard médusé de notre voisin de ponton en nous voyant sortir de ce sauna improvisé ! Désormais vous saurez que pour chaque miette de confort à bord, il faut, au bas mot, des heures d’efforts derrière.

Essai (s) concluant (s)

Echauffement en baie de Douarnenez

La Bretagne a été une occasion rêvée de rencontrer des voileux passionnés, prêts à nous partager les secrets des marins, des vrais ! Désireux de maîtriser encore mieux le Nos Limites, l’équipage s’est payé le luxe d’un moniteur à bord, afin d’appréhender certains points avant de se lancer dans la Manche.

Évidence évidente : On le sait, tout le monde le sait : notre navire n’est pas un fameux trois mâts fin comme un oiseau et il remonte bougrement mal au vent. Suivant les conseils de notre moniteur, nous déplaçons les écoutes de la trinquette (la voile de mauvais temps), bien calées entre deux haubans, pour bien ramener la voile près du centre du bateau et cela fonctionne très bien ! Emerveillés, dans une baie protégée de la mer, sous un vent de 15 nœuds et toutes voiles dehors, cela semble parfait. Retenez bien cette écoute entre deux haubans, votre narratrice y reviendra plus tard dans le récit…

Nous n’allons pas ici énumérer toutes les prouesses du Sharki mais un dialogue est ici rapporté car il nous fait encore rire à chaque fois que nous y pensons. Voici le contexte : notre moniteur est un vrai régatier, dans l’esprit de performance pure et dure et il semble quelque peu désarmé face à l’inertie du monstre de 10 tonnes, sous toilé, et trapu. Sur la fin, nous décidons d’envoyer le spi. Il souhaite prendre la barre. Et là son regard s’assombrit :

– Ah oui, la barre n’est pas très réactive…

– On te l’avait dit, nous laissons quasiment tout le temps le pilote automatique, sinon on se fait vite ch*** à la barre.

Puis, son visage s’éclaire : Hey, on va à 14 noeuds quand même !

Fabrice : Non, Jean (le prénom a été changé), 14 noeuds c’est la vitesse du vent ! Nous allons à 6 noeuds là.

Jean : Ok, je vais remettre le pilote.

Fin du rêve pour le moniteur, ravi de retrouver sa bête de course dès le retour au port. Heureusement pour nous, les dames que nous avons invitées à bord pour une sortie (elles se reconnaitront) , avaient l’air beaucoup plus impressionnées par le fabuleux navire qui gambadait dans la baie.

La rade de Brest

Après une semaine de bricolage, d’essais, d’efforts, de patience et après de nombreux Kouign Amann dégustés, notre route reprend. Nous gagnons nos quartiers à Camaret sur Mer, histoire de déguster quelques crêpes et bolées de cidres avant le grand départ. Un feu d’artifice gracieusement offert par le « Drugstore » nous sera servi avant le départ.

Le charmant port de Camaret à sec

L’équipage ne peut manquer de vous partager un Fun fact, appris à Camaret par une vendeuse de vêtements qui vendait aussi des jeans : la toile de Nîmes inventée par un français, Levis, parti vivre aux USA, qui deviendra le DENIM à l’origine des jeans levis. Parmi les phrases prononcées par madame, citons :

– Heureusement, on est entre nous ici, il n’y a pas encore de vandalisme ou d’agression.

– Il n’y a plus de médecins ici, c’est le drame. Même les généralistes sont en sous effectif.

Quand enfin,nous lui apprenons que ces fichus anglais interdisent toute viande ou produit laitier à importer :

– Quoi ??!! Impossible de ne pas avoir de pâté Hénaff à bord, enfin, c’est culturel ! On ne peut pas contourner ?

Nous lui expliquons alors engloutir chaque jour des tonnes de rillettes du Mans (cochon FRANCAIS messieurs dames) et de bon fromage, pour ne pas se les faire saisir par le peuple Anglais (regard compatissant de la vendeuse, of course).

Camaret côté mer, une merveille

Nous décidons d’aller aux Iles Scilly, au Royaume-Uni. Le vent ne nous étant pas très favorable pour le moment, notre avis est de patienter dans la rade ultra protégée de Brest, avec toute l’appréhension qui va avec (trop bétonné, trop urbain, trop bruyant, etc.).

Toutes voiles dehors, vent de travers, puis au près lors de l’entrée dans le Goulet de Brest, nous progressons. Pour faire simple, c’est un mini Gibraltar, le vent en moins. Nous louvoyons pendant deux bonnes heures depuis Camaret en nous apercevant que nous frôlons la marche arrière à chaque virement de bord. A ce moment, nous nous regardons comme deux idiots.

– Tu as regardé les horaires des marées ?

– Oui, vite fait, pourquoi ? (nous regardons avant les passages critiques ou les mouillages pour ne pas être surpris; il s’avère que Brest EST un passage critique)

– Tu as vu que la majorité des bateaux vont dans le sens opposé ?

– Ah oui, seuls trois fous dont le Nos Limites, sont dans le sens de l’entrée.

Voyons les instructions nautiques : Passer idéalement au moment de la marée montante, ah !! On vous passe la honte des débutants, mais le Perkins nous a fait passer le goulet à 6 noeuds sans difficulté. On a gardé un bout de toile pour garder la face, comme le voilier à côté de nous d’ailleurs (il ne nous a pas échappé qu’il avait également allumé son moteur).

Mouillage reposant en attendant le vent

Quelle belle surprise ! Outre l’absence totale de houle, une fois passé le fameux goulet, des étendues ocres tapissés de verdure s’offrent au regard. Pas de lumières la nuit dans ces quelques baies, pas de bruit sauf celui des oiseaux qui viennent, encore et toujours, quémander de la nourriture :). Un calme total et reposant en attendant le passage du Four. A noter que nous avons eu droit, au mouillage, à un nouveau feu d’artifice. L’équipage est veinard on dirait.

Grand départ, le vrai

Nous visons le Royaume Uni et, à ce titre, nous allons franchir pour la première fois le passage du Four, armés jusqu’aux dents comme lors du passage du Raz de Sein. La météo est plus que favorable, tellement favorable d’ailleurs que nous avons une pétole totale… Le passage se fera donc au moteur, marée montante, catapultés à 9 noeuds droit vers la Manche.

Pointe St Mathieu, l’entrée du Four !

Nous voyons Ouessant à l’Ouest au soleil couchant, avec une mer d’huile, entourés de dauphins à l’infini. Nous n’avons jamais vu autant de dauphins, des dizaines et des dizaines, se succédant par groupes, avec des bébés qui virevoltent à l’étrave, suivis par les parents qui les guident. Nous sommes seuls dans la zone, dégustant nos dernières rillettes et saucissons avant la traversée de la Manche. Si nous sommes malins, nous allons arriver à attraper un bon vent d’Est qui nous permettra de passer d’une traite en 24 heures. Mais il nous faut faire encore huit longs miles au moteur, qui passent très vite, étant donné les dauphins et les fous de Bassan qui font l’animation.

Enfin, le vent arrive et il est parfait avec 15 noeuds au portant (mieux qu’espéré) et une mer calme, nous filons 8 noeuds dans la Manche, aidés par le courant de marée. Allongés pendant nos quarts, nous entendons les sifflements des dauphins contre la coque et, en posant la main dessus, nous imaginons que seuls quelques millimètres de fibre de verre nous séparent de leur monde.

La traversée du rail d’Ouessant nous oblige à garder notre concentration, aux pires heures, entre minuit et trois heures du matin. Des dizaines et des dizaines de cargos illuminent l’horizon, nous passant devant et derrière. Nous voyons encore une fois que les cargos évitent les routes des voiliers et modifient leur cap de quelques degrés chaque fois, rassurant tout de même.

Un seul bord, au portant, et la traversée qui devait durer 20 heures va en durer à peine 15. Incroyable. Disons, presque incroyable. Nous avions pariés une arrivée vers 17 heures, après une période agitée à 30 noeuds vers midi. Suspense ! Il est midi, nous avons été trop rapides et les îles et la Manche nous accueillent sur le sol anglais avec des bonnes grosses rafales à 30/32 noeuds dans un vent au moins équivalent. La mer se lève, bien pourrie, avec une houle de 3 mètres et nous vivons même l’expérience d’une bonne déferlante qui nous remplit le cockpit par l’arrière : surprenant quand on est allongé tranquille en ne s’y attendant pas !

Le capitaine, à juste titre, plie le génois, sort la trinquette , qui refuse de se dérouler…Regards surpris et désabusés de l’équipage qui sait que l’un de nous va devoir aller à l’avant ! Super… La drisse de spi s’était enroulée autour de l’enrouleur, empêchant toute manoeuvre. En quelques minutes l’affaire est réglée, Céline attachée au mât, concentrée pour ne pas vomir dans la houle puissante.

De retour au cockpit, seulement 5 minutes après tous ces efforts, le pavillon anglais décide de se détacher tout doux : allez ! remise en place des longes, affalage et attache correcte du pavillon. Et de deux !

Et hop pavillon raccroché !

Souviens toi, lecteur, lectrice, que nous avions mentionné la fameuse écoute de trinquette entre les haubans. Nous y voilà. Lors d’un virement de bord pour contourner l’île et prendre le chenal, l’écoute refuse de passer. Qui alors, enfile la combinaison de cosmonaute, harnais, longes, bottes, bonnet et s’attache pour aller à l’avant repasser l’écoute en se faisant copieusement arroser par des équivalents de seaux d’eaux ? Votre narratrice bien sur ! Et elle aura l’amabilité de répondre à la Manche par un copieux vomi en retour. Et de trois ! Jamais deux sans trois.

On dit n’importe quoi dans la vidéo, la fatigue sans doute 🙂

L’arrivée

Nous approchons enfin des îles après un très long contournement pour éviter les courants, direction St Mary, la plus grande et le plus peuplée. Un mouillage en face du port nous promet du rêve. Nous sommes protégés du vent et de la houle, et curieusement, nous sommes très peu à naviguer aujourd’hui ! Rires. Le mouillage s’effectue à 25 noeuds, sans encombre. Nous pouvons respirer. Le bateau était beaucoup trop rangé pour une traversée. Mais ça c’était avant midi ! Le sol est désormais trempé d’eau de mer, les coussins ont valsé dans tout l’habitacle, de même que la vaisselle (savamment choisie en bois), les oreillers, et nous retrouvons certains livres à terre dont nous avions oublié l’existence. Un bon rangement et nettoyage nous remet les pieds sur terre avant l’appel aux border force !

Formalités d’entrée

Qui dit Brexit dit formalités plus complexes. Pour les douaniers français c’était facile et par mail : on part du territoire ! Leur réponse : ok, merci beaucoup. (On raccourcit à l’extrême, on tient à le préciser).

Côté anglais, il faut une autorisation d’entrée déjà demandée il y a 3 mois et valable deux ans. Facile dans le principe. La seule difficulté : il fallait un appareil avec une puce NFC (sans contact) pour « biper » le passeport. Sauf que le seul appareil avec une puce de ce type est une énorme tablette, que la puce est minuscule, et que je ne sais pas où elle se trouve. Rajoutez à ça que vous avez 10 secondes pour la trouver ou tout s’annule et il faut tout recommencer…Aussi facile que le poêle, quoi !

Ensuite, après un formulaire en ligne, estimant l’heure d’arrivée à deux heures près (genre, en voilier tu peux prévoir à ce point !). Nous sommes arrivés exactement dans le créneau prévu : et oui, très en avance, mais le vent terrible nous a fait faire le grand détour et donc, tadam ! Arrivés finalement pile à l’heure prévue :).

Puis vient l’appel aux douaniers anglais :

– Bonjour, nous venons d’arriver, quelle est la procédure ?

– Le nom du bateau, s’il vous plait Sir ?

– Nos limites !

– Patientez quelques minutes, restez bien en ligne ! (la voix de l’interlocuteur était calme et joviale).

Enfin, après de longues minutes…

– C’est bon, aucun souci, vous pouvez procéder.

Et c’est tout ! En bateau tout est facile, même pendant le Brexit :). Nous regrettons presque d’avoir englouti toutes ces rillettes pour les contrôles et fouilles des douanes !

Suite au prochain épisode.

En attendant le prochain épisode, une petite idée de la direction des vents dominants

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