From Gruissan to Gibraltar : épisode 2.

Ainsi donc nous voilà partis de Port-Vendres en direction (toujours) de Gibraltar.

Pour la suite des évènements, nous avons décidé de rebaptiser gentiment ce détroit de l’enfer « Gibou », cela le rendra aux yeux du navigateur plus mignon; surtout si on pense aux accélérations brutales de vent, de rafales, de courants, aux orques, et aux cargos glissant sur leurs rails jour et nuit.

Lors du dernier épisode, le moteur Perkins du Nos Limites présentait une défaillance minime que notre capitaine et son équipière ont identifié comme une batterie de démarrage en fin de vie.

Revivons ensemble le dialogue qui s’est déroulé à 5 heures 30 du matin après habillage avec la tenue intégrale de navigation, rafraichis par un bon vent portant et un froid ressenti à 4° un matin du 21 avril :

Premier coup de clé (rien ne se passe, rien sauf si ce n’est cette affreuse sonnerie d’alarme au démarrage que votre narratrice se jure de déconnecter un jour):

Fabrice : p***** je crois que la batterie est morte (mise en parallèle de toutes les batteries, et de nouveau, pas de démarrage !)

Céline : tu es sûr que ce n’est pas le démarreur ?

Fabrice : Non c’est certain, nous l’avons changé en 2023

Céline : Il n’était pas neuf, et la fuite d’huile a pu pourrir le démarreur, c’est juste au dessus et cela s’est déjà produit …

Fabrice : Non, on va commander des batteries neuves !

Quelques jours plus tard, l’équipage est ravi de découvrir les bêtes : deux Optima (le top) flambant neuves; pas une trace de poussière sur le plastique brillant sous le soleil. Une excellente journée s’annonce et nous voilà avec nos 30 kg de batteries débordant d’acide et d’énergie. Et là …rien ne se passe !

100 Ah , voilà les monstres !

Je ferai un aparté à ce moment de la narration. Dans la médecine, ou la chirurgie ou autre métier assez technique et risqué, la moindre erreur peut être fatale. On décrit deux biais cognitifs appelés déni et tunnelisation. Le déni est facile à décrire, il nous empêche de voir l’évidence que d’autres pourraient observer en restant sans s’impliquer à l’extérieur de l’évènement. La tunnelisation, pour résumer, c’est le fait de continuer à faire de la m**** en s’enfonçant (mais alors !) jusqu’au bout et en persistant. Le seul moyen de sortie de ces états est d’avoir un avis de quelqu’un qui a une autorité sur nous. En l’occurrence, votre narratrice est l’équipière, nous sommes donc à égalité sur ce navire, ce qui est parfait (et nous a permis d’avoir deux batteries toutes neuves 🙂 ).

Céline : Tu es sûr que ce n’est pas le démarreur ?

Fabrice : non c’est sûr, attends, il faut peut être attendre que les batteries chauffent (vous avez bien lu, ça c’est de la tunnelisation ! :D). Vous pouvez aussi trouver cette réplique directement dans les pépites. On me dit à l’oreille que le capitaine n’approuve pas cette pépite et que ne doivent être dévoilées que celles des autres capitaines. Afin de préserver l’égo de capitaine Fabrice, la présente pépite sera présentée barrée.

Céline : tu es sûr que ce n’est pas le démarreur (bis !) ?

Fabrice : non ça doit être autre chose…(pour info même le booster Facom ne démarrait pas le perkins)

Revenons au dialogue, que vous imaginez déjà beaucoup plus vif et animé que décrit ici.

Céline : change le démarreur vite fait et nous saurons vite (alléluia nous en avions un tout neuf bien rangé sous vide, bravo à la présence d’esprit du captain !)

Fabrice : je dois encore faire des tests

Quelques tests (et heures) et une vidange d’huile plus tard : toujours rien ! Les jeunes de la capitainerie commençaient alors à nous prendre en pitié et certains ont même passé quelques temps avec nous afin de comprendre l’origine de tout cela.

Après ces échecs, changement du démarreur et le Perkins a démarré au quart de tour. Impressionnant ! Il a même démarré avec le booster branché directement sur les cosses, sans batterie ! Et plusieurs fois ! L’équipage est soulagé et heureux, relâchement de la pression et sourires sont de mise à bord à compter de cet instant. Nous avons donc récupéré l’ancienne batterie à la décharge, qui n’était finalement pas si morte que ça…

Départ toutes voiles dehors (non, je plaisante, nous sommes au moteur) et franchissement du cap Béar avec 10 noeuds de vent, puis 5 puis 2…la mer est douce, pacifique et calme. Le cap Creus a décidé de nous laisser passer aujourd’hui et c’est tant mieux car 40 à 50 noeuds sont prévus dans 24 heures mais nous serons déjà loin. Notre objectif est de fuir la zone de malheur aux vents terribles.

La traversée se déroule sans gîte ni problèmes, ce qui a le don de détendre l’équipage et de nous permettre de nous reposer. En pleine nuit, lors du quart de Fabrice, j’entends le bruit des voiles qu’on déroule à bloc, le bateau se met à gîter tranquillement et le moteur qu’on arrête ! Je me lève et préviens tout de même que le vent risque de ne pas vouloir nous accompagner longtemps et, environ une heure plus tard, le Nos Limites se retrouve à 1 noeud dans une pétole de l’autre monde. Nous enroulons les voiles, et redémarrons le Perkins (sans aucun effort 🙂 ).

Le meilleur quart c’est celui où le jour apparaît dans le sillage, avant même le premier rayon. Nous voilà seul, roi de la mer.

L’arrivée se fera dans la baie de Soller à Majorque, escortés par 6 magnifiques dauphins qui nous guident vers le soleil. Quel accueil ! Le mouillage est calme, sablonneux, avec une belle accroche et va nous permettre un repos mérité après 30 heures de navigation.

Une des rares choses inaccessible aux terriens, les dauphins caressant l’étrave et leur regard curieux…

Le lendemain, 27 avril, départ pour Palma de Majorque, dont on dit que la cathédrale est fabuleuse et la ville est magnifique. Le petit Nos Limites file toutes voiles dehors (pour de vrai cette fois ci) dans la baie de Palma, que nous trouvons immense, vide et protégée du clapot. Un vrai rêve pour les voileux puisque qu’elle n’est pas déventée.

Mode locale, fourrure, excès, classe et volupté, bienvenue à Palma de Mallorque ! Notez les lunettes de navigation flottantes décathlon à 29 euros seulement !

La marina est immense, le réal club nautico de Palma, rien que ça : 1000 places, des yachts à perte de vue avec 4 ou 5 barres de flèches, des navires si grands que nous n’arrivons pas à déterminer si ce sont des bateaux professionnels ou de la plaisance hors limite, des sanitaires impeccables et des habitants extrêmement polis. Bref, cette escale est une oasis de tranquillité.

La ville, à notre grande surprise, est très belle lorsqu’elle est déplumée de la masse de ses touristes estivaux. Tout est prévu pour les foules ici. Ainsi, quand nous évoluons dans ses rues, quasi seuls la plupart du temps, nous ressentons une impression de sérénité.

Attention marcheurs, le sol est poli et glissant par les millions de pas qui ont foulé ces pavés.

La cathédrale est effectivement splendide, construite au XIIIème siècle, et comporte quelques articles en argent massif de 2 mètres de haut, d’autres en or suspendus au plafond. Le faste de l’église de Majorque n’a rien à envier aux cathédrales romaines, protégée par Saint Sebastien.

Allons nous greffer aux touristes pour écouter le guide gratis !

Concernant la gastronomie, c’est une autre affaire. Les tapas, cette horreur optimisée et uniformisée pour les touristes n’a probablement rien à voir avec l’art culinaire ibérique tel qu’on peut l’imaginer mais la brigade du Nos Limites n’a aucun souci pour la cuisine du bord.

Autre joie de la plaisance : savoir recoudre soi-même. A cet effet, nous avons la chance d’avoir à bord une fabuleuse machine à coudre des années soixante, gentiment confiée à nos soins par les parents de Fabrice. C’est une merveille mécanique qui doit peser la moitié du poids d’un éléphant au jugé, et qui est bougrement pratique, passées les étapes pour comprendre son fonctionnement !

Premier essai de la bête concluant, premier ourlet aussi !

Finalement nous y avions prévu une escale d’une nuit, nous y resterons trois nuits avec un départ pour Cartagena prévu le 1er mai au matin et à la voile évidemment !

A bientôt pour l’épisode 3…

Indice : ce n’est pas un Dieu qu’il est en train de prier mais probablement le destin !

Et si vous vous demandez pourquoi Fabrice est dans cette position, vous en saurez davantage dans le prochain épisode.

Laisser un commentaire