Naviguer en Méditerranée : Témoignage d’une lutte contre un orage dévastateur

Le 14 août 2024, nous étions au mouillage de la Cala Saona à Formentera. La météo était instable et nous savions qu’un orage puissant devait arriver sur l’île à midi. Nous avions le choix de partir au large ou de rester au mouillage avec toute la sécurité possible et imaginable et un bateau préparé. Fabrice et moi avons choisi la seconde alternative ; avec l’expérience, la première aurait été la bonne, avec un départ au large des heures plus tôt, le danger c’est la côte.

Aucun marin n’a été blessé dans cette expérience.

Récit, pour ne pas oublier les erreurs ni l’intensité de l’évènement. Tout marin, même peu aguerri est amené à connaître un jour les vicissitudes de la Méditerranée.

Août est la pire période pour essuyer un orage, l’air est brûlant (35°C), l’eau tiédasse, et la dépression qui traverse l’Espagne passe par les Pyrénées se chargeant d’un air glacé, cocktail détonnant en perspective !

Soucieux de nous mettre à l’abri le plus possible, nous changeons de mouillage la veille, avec un fond de sable qui accroche bien, très bien même, et loin de la côte (erreur n°1, une belle côte rocheuse). La côte est tout de même magnifique, ocre, escarpée et contraste magnifiquement avec la mer azur. Le vent est très faible, 10-12 noeuds d’ouest. Mais déjà les nuages indiquent que le temps est explosif, les altostratus (que nous allons chaleureusement re-baptiser les PAS BEAU-stratus ) masquent déjà le soleil… Pour donner une idée de ce qui nous attend, il existe un index en météorologie, la CAPE, c’est à dire l’énergie potentielle de convection, qui permet d’estimer la violence d’un orage entre 0 et Plus de 3000. Disons que la CAPE <1000 c’est un orage standard, et au delà de 3000 c’est un orage très violent. Evidemment ce jour là c’était 3500… Cette erreur de débutant de rester au mouillage ne se reproduira pas.

Au matin, réveil à 9 heures, petit-déjeuner express; le ciel est noir (il fait nuit en plein jour). L’orage fonce sur nous. Nous apercevons le mouillage dans lequel la plupart des bateaux sont partis sauf ceux qui comme nous se sont donnés une chance de passer le perturbation au mouillage. Le filtre à huile fait des siennes, une histoire de gazole dans le carter qui sera réglée dans la suite, dernière vérification et allumage du moteur pour le préchauffer et s’appuyer au moteur en cas de vent extrême. Quelle bêtise également que cet ultime réglage connu pourtant depuis 2 jours, en y repensant à postériori.

Nous sentons le vent monter, il passe de 5 à 15 noeuds très rapidement, puis 20, et soudain deux rafales l’une après l’autre à 30 puis 40 noeuds. Le bateau se couche au mouillage; les hublots sont verrouillés. Dans l’ordre je sors les gilets de sauvetage, prépare un sac étanche avec nos passeports et l’argent ainsi qu’un téléphone et une VHF. Notre sang ne fait qu’un tour, et Fabrice est déjà à la barre. En seulement deux minutes, les rafales montent à 55 noeuds, impressionnant. Fabrice lutte tant bien que mal, maintenant un cap hasardeux face au vent pour éviter de nous coucher. Il est illusoire de croire que c’est possible. Dans notre malheur, le vent prévu est orienté au large, l’inverse de ce qui était prévu…nous poussant vers la côte. Heureusement l’ancre tient bon (la super Spade de 25kg).

J’entends alors un bruit métallique à l’avant et m’équipe du gilet, des gants, des bottes et de la longe triple, pour vérifier l’affaire. Les creux levés par la tempête sont énormes; des hauteurs de vague de 2/3 mètres de face. On dit que la hauteur des vagues est proportionnelle au nombre de bières bues. Mais dans notre cas, la boisson du matin se résumait au café ! A peine arrivée à la proue je m’agenouille pour vérifier la chaîne et je me sens décoller, mes genoux percutent le pont à chaque vague. Je décide de larguer toute la chaîne (80 mètres). Là encore, une erreur de débutant, toute la chaine aurait due être larguée bien en amont. Le bruit métallique est en fait la main de fer qui a sauté (le crochet d’inox qui retient la chaine et évite de tirer sur le guideau en cas de vent), notre guindeau est donc vulnérable à l’arrachement.

La tension devient en 10 secondes tellement forte que la jonction chaîne cablot qui nous relie au bateau (étalingure) menace de rompre. Résumons l’équation : pas de chaine = pas de mouillage = échouement !

Je récupère immédiatement une amarre bien souple et attache la chaîne au taquet le plus costaud par un noeud de bosse, bien serré, le constricteur par excellence. Je prends le temps de rajouter un palan et encore un autre bout, tout ça pour sauver le mouillage et donc le Sharki !

Je fonce à l’arrière pour faire un rapport à Fabrice qui ne lâche pas la barre puis retourne à l’avant contrôler les sécurités : tout a lâché sauf le noeud de bosse (note à moi-même, ne jamais oublier ce noeud, ce noeud même qui a sauvé le bateau). En y repensant, c’est vraiment l’image de la vie qui ne tient qu’à un fil…Les alarmes du cockpit se mettent à sonner forcément à ce moment là (faux contact sur le propulseur d’étrave…et coup de panique inutile).

Le bateau se dandine comme un animal enragé face aux vagues qui ne faiblissent pas, le ciel est noir, mais le vent heureusement, reste constant en direction. Je prie intérieurement pour que cela cesse. Un regard en arrière suffit à nous rassurer avec Fabrice, le Nos Limites ne bouge pas, ancré comme pas possible. Toujours à l’avant, on ne baisse pas la garde, une vague entière finit par me submerger, avant que la grêle ne se mette à tomber sur mon crâne. Je suis trempée mais je fais le signe OK à Fabrice de loin. Des traces de sang sur le pont me font réaliser que mes genoux sont en sang à force de décoller toutes les 5 secondes avant de percuter le roof, et toujours retenue par mes deux longes.

Dans ces moments de stress pur, je sens l’adrénaline qui me ronge, aucune nausée, aucune douleur, une concentration extrême, et étonnamment, pas le temps d’avoir peur. La peur en présence de vent fort ne reviendra que plus tard à nous, comme une reviviscence. Je sais que mon noeud ne doit pas lâcher. Je refais le même plus loin sur la chaîne, just in case !

Je retourne au cockpit et là, Fabrice me lance « c’est fini ! Effectivement, le vent tombe, 30, 20, 15 noeuds, comme il est monté, il chute très vite. Le moment de fuir la zone est venu. La remontée de la chaîne se fait en douceur. A 15 mètres de l’ancre, surprise, le guindeau n’a plus la puissance pour la remonter (1500W tout de même). La puissance du vent avait tellement enfoncé l’ancre dans le sable que nous avons dû nous aider du moteur pour décrocher (il fallait nous y attendre). Nous quittons ce mouillage sous un ciel sombre et toujours menaçant.

Pendant la bataille, nous avons cru perdre l’ancre, avons sorti la trinquette désespérément pour fuir, ce n’était qu’une fausse alerte et un problème de communication. Chose rassurante : la trinquette peut être sortie et roulée à 50 noeuds sans soucis.

Pendant la tempête, nous avons vu un catamaran se briser sur les rochers derrière nous, priant pour ne pas partager son sort. Nous nous faisons même la réflexion que les quelques catamarans restant au mouillage sont bien fous d’y rester, avant de nous rendre compte que eux aussi sont échoués, déposés par le vent sur le sable, bien à plat. En partant, nous croisons un bateau pneumatique vide, annexe d’un yacht immense qui s’en est décrochée.

Quelques miles plus loin, nous nous préparons à empanner : la Méditerranée nous prouve une fois de plus qu’elle est une belle sa**pe. Nous voilà au portant, 10 noeuds de vent, le ciel redevient bleu. Et là, nous apercevons un aileron de dauphin, et tout de suite, quatre dauphins viennent nous escorter vers le large, jouant avec l’étrave du Sharki, accompagnant nos corps épuisés et notre esprit survolté d’avoir vécu cette épreuve et de s’en sortir avec seulement la perte d’une douchette de pont et d’une bande UV abimée !

Nous avons subi un deuxième orage au large mais rien d’équivalent à celui-ci.

Avec le recul, orage = départ loin et très très au large. Nous sommes des coques de noix balayées par des forces que nous imaginons pouvoir gérer. La réalité nous montre que l’humain a tort de se croire invincible. Une belle leçon. Et la dernière de toutes : ne pas naviguer en Med entre mi et fin août. Il est dit qu’à cause du changement climatique, les saisons cycloniques pourraient apparaitre dans cette mer dangereuse mais nous y sommes déjà. Les tempêtes en Corse de 2020 nous ont déjà indiqué l’avenir.

Et hop, un deuxième !

Une réponse à « Naviguer en Méditerranée : Témoignage d’une lutte contre un orage dévastateur »

  1. Avatar de Jean-Hubert Etienne
    Jean-Hubert Etienne

    Remettez-vous bien de vos émotions 🥰

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